Compte Rendu

François Truffaut, Correspondance avec des écrivains (1948-1984), édition établie et commentée par Bernard Bastide, Paris, Gallimard, 2022, 520 pp.

Avec cet ouvrage, Bernard Bastide comble un manque important. En 1988, un volume de correspondance avait paru qui comportait essentiellement les lettres de Truffaut à ses amis et à ses collègues cinéastes [1]. Désormais, nous disposons aussi de la correspondance croisée que cet « homme qui aimait les lettres » – l’expression est de Bernard Bastide – a entretenue avec les écrivains au sujet d’ouvrages qu’il appréciait et/ou qu’il désirait adapter à l’écran. En outre, enfin nous sont révélés in extenso les échanges qui ont eu lieu avec Jean Cocteau de 1948 à 1963. La toute première lettre de ce volume qui est datée du 10 novembre 1948 concerne d’ailleurs une demande de soutien du jeune cinéphile adressée au poète-cinéaste. Désirant projeter Le Sang d’un poète dans le tout nouveau ciné-club qu’il vient de fonder, il demande, ni plus ni moins, à Cocteau de venir présenter son film. Comme nous le savons, cette présentation et cette première rencontre entre les deux artistes n’auront pas lieu. Mais le ton à la fois respectueux et sincère de ce document permet déjà de mesurer la qualité de leurs relations à venir. L’incipit est suffisamment éloquent : « Maître,/ Ici pas de flatteries, pas de bla bla bla d’usage, pas non plus de ces formules-clichés qui n’ont pour résultat que de dissimuler la véritable personnalité de celui qui les emploie. » (p. 31).

La doxa coctalienne comportait déjà une étude livrant une excellente synthèse des rapports entre Truffaut et Cocteau. Il s’agit de l’article de Marcel Turbiaux repris dans un volume de la série Jean Cocteau publiée jadis chez Minard [2]. Puis il y avait l’ouvrage de Frédéric Gimello-Mesplomb qui traitait de l’un des moments forts de l’amitié naissante entre les deux artistes à travers leur collaboration au Festival du film maudit qui s’était déroulé à Biarritz du 29 juillet au 5 août 1949 [3].

Ce que l’édition de Bernard Bastide désormais nous apporte d’original et de neuf est d’un double ordre. Tout d’abord, nous sommes à même de vérifier et de confirmer, preuves à l’appui, les récits retracés par Turbiaux et Gimello-Lesplomb, mais bien plus en détail qu’auparavant. Mentionnons tout particulièrement à cet égard l’intérêt des notes abondantes et précises accompagnant chacune des lettres[4]. S’ensuit un recadrage utile et précieux des diverses étapes des rapports entre Cocteau et Truffaut. Parmi ces étapes, citons-en quelques-unes à titre d’exemple : outre la fondation du premier ciné-club déjà mentionnée, les démarches successives opérées par Truffaut pour trouver un distributeur et un producteur pour Le Testament d’Orphée et suivies plus tard de sa proposition d’investir lui-même dans le film, la satisfaction de Cocteau de voir son jeune ami récolter au festival de Cannes le succès qu’il lui estime être dû, les demandes successives de Truffaut adressées au poète pour collaborer aux Cahiers du cinéma, pour le soutenir dans l’affaire Vadim ou encore pour contribuer à revoir le jugement de la Commission de contrôle au sujet de Jules et Jim.

De surcroît, nous découvrons de tout nouveaux faits et de nouvelles pistes d’investigation. Pour ce qui est des faits, nous signalons uniquement deux passages de Cocteau – les deux premiers d’une longue liste bien trop nombreuse à énumérer sans devoir la priver de commentaires appropriés –, en l’occurrence sur les raisons de sa préférence pour certains acteurs et pour les films qu’il qualifie de « noirs » par opposition à ceux en couleurs. En parlant du cinéaste Jean Renoir, Cocteau déclare que s’il « existe un rapport de famille entre nous [comprenons entre Renoir et lui, aussi bien qu’entre Truffaut et lui], ce serait la même manière de choisir les artistes d’un film beaucoup plus d’après leur style moral que d’après leur charme physique ». Et, dans le post scriptum de la même lettre, il va jusqu’à désigner « l’irisation » des tableaux du père Renoir comme une qualité reportée dans les films du fils : « Les films noirs sont aussi en couleurs. » (p. 113). Parmi les nouvelles pistes, nous n’en mentionnerons qu’une, tout en laissant aux lecteurs le plaisir d’en suivre le récit complet fait par Bernard Bastide lui-même dans ce volume. Il s’agit de l’adaptation de la chanson de Cocteau Anna la bonne que Truffaut s’est chargé de produire avec l’actrice qui l’a créée sur scène, Marianne Oswald, et avec le cinéaste québécois Claude Jutra.

Autre bénéfice supplémentaire apporté par cet ouvrage, même s’il s’agit d’un défi dissimulé lancé à de futurs chercheurs qui devront égaler alors la richesse et la qualité de l’édition de Bernard Bastide, c’est de s’interroger sur la nécessité de rassembler et de publier les correspondances échangées par Cocteau avec ses amis et avec ses collègues cinéastes ou en rapport avec le cinéma. Avec pour protagonistes, par exemple, Marc Allégret, Maria Casarès, Louis Delluc, Marlène Dietrich, Georges Franju, Henri Langlois, Gérard Philipe, François Reichenbach ou encore Orson Welles, et avec pour sous-titre potentiel, mais non obligé, pourvu que le projet se réalise : « Ceux du cinéma qui aimaient les écrits et les films Cocteau. »


[1] François Truffaut, Correspondance, Paris, 5 Continents/Hatier, 1988 ; réédition dans la collection « Livre de poche », 1993.

[2] Marcel Turbiaux, « François Truffaut – Jean Cocteau », dans Jean Cocteau 7. Pratiques du média radiophonique, textes réunis et présentés par Pierre-Marie Héron et Serge Linarès, Caen, Lettres Modernes Minard, 2012, p. 221-240. OK

[3] Frédéric Gimello-Mesplomb, Objectif 49. Cocteau et la nouvelle avant-garde, Paris, Séguier, 2013.

[4] En particulier les notes qui relient Cocteau à la nouvelle avant-garde de la Nouvelle Vague du cinéma (Godard, Resnais, Doniol-Valcroze, Rivette, …). Nous n’avons que deux petites remarques : à la note 2 de la page 123, il convient de remplacer l’information donnée par la contribution de Cocteau à une reprise d’Œdipus Rex à Vienne le 11 juin 1958 ; à la note de la page 133, il vaut mieux supprimer la supposition de la participation de Brigitte Bardot et Françoise Sagan au Testament d’Orphée.

Pour citer cet article

David Gullentops, "Compte Rendu", Cahiers JC n°20 : Intermédialités, [en ligne], 2022, 1p, consulté le 09/10/2024, URL : https://cahiersjeancocteau.com/articles/compte-rendu-2/