L’effervescence créative des deux dernières années de la vie de Cocteau[1] coïncide avec le centenaire de la naissance de Maeterlinck, célébré en Europe par divers spectacles et parutions. C’est dans ce contexte qu’il faut aborder les hommages multiformes que Cocteau rend à l’auteur belge : le discours prononcé à l’Académie Royale de Belgique en septembre 1962, mais aussi les décors et les costumes de l’opéra composé par Debussy d’après Pelléas et Mélisande pour le théâtre municipal de Metz en 1962[2]. Dans le discours de Bruxelles, Cocteau appelle ce travail son « véritable hommage[3] » à Maeterlinck, et surtout : « une preuve d’amour[4] ». Le huitième tome du Passé défini permet de retracer une chronologie approximative de ce travail et d’en dégager l’idée directrice : restituer la nouveauté et l’« audace[5] » du geste théâtral de Maeterlinck, en le désolidarisant de la version musicale qui l’a démocratisé. Malou Haine défend l’hypothèse que ce travail scénographique constituerait également une forme d’hommage et de réparation envers Debussy, que Cocteau avait érigé en contre-modèle du groupe des Six et vivement critiqué au moment de la rédaction du Coq rouge[6]. Par le biais de ce travail scénographique, une réflexion critique, certes plus modérée, sur les liens entre l’opéra et la pièce initiale de Maeterlinck se poursuit. Celle-ci se donnera à lire dans les paratextes du spectacle (texte du livret, discours de présentation du spectacle, entretiens radiophoniques[7] donnés à l’occasion de la première) et nourrira une partie du texte plus achevé que constitue l’hommage de Bruxelles.
David Gullentops a reconstitué la genèse[8] de ce discours en confrontant les différentes versions conservées, la correspondance entre les époux Maeterlinck et Cocteau et un texte inédit et sans doute postérieur, « L’Homme », que Maeterlinck consacre à l’auteur belge[9]. La « vision », subjective et empreinte de surnaturel, que Cocteau donne de Maeterlinck peut être lue comme une continuation de son interprétation visuelle de Pelléas et Mélisande, les réflexions que la pièce inspire à Cocteau « débordant » sur sa vision de l’œuvre et de l’homme. Certaines idées-forces en effet reviennent, se développent et s’entrelacent dans les différents textes et gestes créateurs que Maeterlinck lui inspire : la paradoxale incarnation des personnages, qui rejoint celle de l’auteur lui-même ; le « réalisme irréel » de l’œuvre ; son rapport conflictuel à la musique et aux mises en scène, qui ont traduit et trahi l’intuition de l’artiste, mais avec lesquelles il faut malgré tout composer ; le fil directeur enfin des métaphores entomologiques et naturalistes par lesquelles s’ébauche une lecture novatrice de Maeterlinck.
Nous nous proposons donc de confronter un hommage à un autre : les décors et costumes du Pelléas de Metz au discours d’hommage prononcé à Bruxelles, en nous concentrant moins sur le rapport à Debussy, évoqué par des travaux antérieurs[10], que sur la lecture de Maeterlinck lui-même. Les différents filtres qu’oblitère ou recompose Cocteau, pour proposer une saisie originale du drame symboliste sur la scène messine, correspondent pour lui au nécessaire travail de révision de notre image du dramaturge : ange ou cosmonaute, celui-ci est pour Cocteau un prédécesseur dans la recherche du « réalisme irréel ». Mais cette intuition débouche aussi sur une proposition de lecture originale : considérer l’œuvre théâtrale qui a fait la célébrité du dramaturge belge au filtre de son œuvre entomologique ultérieure.
« Transformer des dessins en décors[11] » : Pelléas et ses filtres sur la scène messine
Tout au long de l’année 1962, Cocteau travaille avec l’aide de son assistant Pierre Crouin à quatre décors et quatre rideaux de scène pour l’opéra joué au théâtre municipal de Metz[12], ainsi qu’à l’ensemble des costumes. Le dispositif scénographique rendu possible par ces décors correspond à une double volonté : faire entendre le texte de Maeterlinck à travers et par-delà la musique impressionniste et l’imagerie symboliste et néo-médiévale avec lesquelles il a fusionné dans la mémoire collective ; mais aussi légitimer une ressaisie subjective et contemporaine du geste esthétique initial de Maeterlinck, que Cocteau rapproche du sien propre.
D’une part en effet, prenant acte de la distance historique et culturelle qui sépare le moment de l’hommage du contexte de création de Pelléas et Mélisande en 1902[13], Cocteau entend débarrasser l’œuvre de certains filtres qui nous empêcheraient de la saisir dans sa radicale nouveauté. Il s’en expliquera dans le discours à l’Académie : l’esthétique symboliste éthérée et datée à laquelle on réduit trop souvent l’œuvre du poète, tout comme le figement qu’a entraîné le succès de l’opéra impressionniste de Debussy, trahissent l’esprit de l’œuvre. Cette édulcoration déréalisante, c’est d’abord celle de Debussy, vivement attaquée dans Le Coq et la plume. Le discours de Bruxelles reprend l’imagerie traditionnellement associée à Debussy[14] d’une féminité dévoratrice et parasitaire (la mante religieuse) pour lui opposer la « virilité » supposée de l’œuvre originale[15] : Maeterlinck est un
aérolithe de quelque ciel en pleine crise féminine de l’esthétique. Un mâle, égaré parmi les écharpes, les mousselines, les dentelles, les voiles de l’impressionnisme symbolisés par la “Parisienne“ dominant la porte monumentale de l’Exposition de 1900, devint la victime d’un accouplement comparable à celui des mantes religieuses[16] .
Il faudrait donc débarrasser Maeterlinck de ces voiles inutiles, et lui restituer une forme de réalisme. Le malentendu attaché à sa réception, trop déterminée et restreinte par le succès de l’opéra, aurait figé l’image erronée d’un Maeterlinck exclusivement éthéré et impressionniste, confortée par les « rires cruels » et les nombreux pastiches qui ont entouré la première de la pièce comme celle de l’opéra.
Aussi le choix de lumières éclatantes et les costumes de couleurs vives empreints d’un médiévalisme stylisé de la scénographie de Metz[17] pourraient-ils renvoyer en creux au geste avorté de Satie, dont Cocteau rappelle plusieurs fois qu’il avait, avant Debussy, repéré en Maeterlinck l’auteur grâce auquel pourrait se réaliser, mais aussi être dépassée, la formule de l’opéra impressionniste[18]. Désolidariser Maeterlinck de Debussy, c’est aussi nous laisser rêver à ce tout autre Pelléas qu’aurait pu faire Satie qui, comme le reste du groupe des Six, avait selon Cocteau mission de « dévoiler[19] » les brumes debussystes et de faire sentir une forme de réalité, d’incarnation, d’énergie occultées par l’attirail symboliste et impressionniste d’époque.
Toutefois, pour Cocteau, « les chefs-d’œuvre ne vivent que par les périodes qu’ils traversent[20] ». Ses « décors en transparence[21] » vont donc également renouer avec les voiles symbolistes pour traduire aux yeux du spectateur cette distance temporelle, et recomposer d’autres filtres qui rendent compte de notre rêverie sur l’atmosphère d’une époque « qui n’a plus le moindre rapport avec celle d’aujourd’hui[22] » : filtres matériels, dans la vision du décor proposé ; et dans le discours, où c’est à travers la lecture des œuvres ultérieures ou la réception par d’autres auteurs que le premier théâtre de Maeterlinck est évoqué.
Cocteau travaille ainsi à partir de sa propre rêverie d’enfant sur le spectacle initial, nourrie par les héliogravures des magazines que sa mère lui aurait rapportés du spectacle[23]. Fictive ou réelle, l’anecdote, qu’il répète sur plusieurs supports (les programmes du spectacle, les émissions de radio, le discours à Bruxelles), est significative du dispositif optique et intellectuel qui préside à sa démarche : en guise de décor (fig. 1), Cocteau esquisse de rapides décalques de photographies des décors originels, empreints de réalisme historique, sur des surfaces de tulle transparent[24], matérialisant par deux filtres successifs (le calque et le tulle) la double médiation des photographies de presse et de la rêverie enfantine qui a conditionné sa vision initiale de l’œuvre.
Au lieu des voiles de gaze qui séparaient la scène symboliste de la salle, déréalisant ainsi l’ensemble du spectacle[25], c’est ici le mélange entre réalité et irréalité, fantasme et incarnation qui est rendu par l’évolution de personnages humains dans ce décor[26]. Rapport distancié à l’esthétique symboliste donc, puisque le double filtre qui s’interpose entre le réel figuré et le décor traduit la ressaisie par une vision subjective, à travers l’écran du souvenir, de l’amour, et du temps écoulé qui a modifié les habitudes esthétiques. Au lieu de la dévoration debussyste qui faisait disparaître l’œuvre sous son style, Cocteau propose donc un rapport distancié, fait de citations et d’écarts, aux mises en scène antérieures, et honore l’événement qu’a été l’opéra debussyste, et le geste théâtral symboliste, tout en laissant rêver à une autre saisie de Maeterlinck.
Cette hésitation entre réalisme et irréalisme caractérise également le traitement de l’objet scénique. Plusieurs entrées du Passé défini évoquent deux symboles essentiels dans la pièce de Maeterlinck : la chevelure de Mélisande tout d’abord, que Cocteau entend initialement remplacer totalement par une cagoule de skieur, au grand effroi de la comtesse Maeterlinck[27]. Mais ces cagoules (qui n’empêchent pas une perruque pour les deux moments où les cheveux sont « indispensables[28] ») matérialisent également une survivance des formes : « Comme la chevelure de Mélisande, sauf à la fenêtre, n’est que dans l’esprit du drame et que je déteste les perruques, j’ai enfermé toutes les têtes dans les adorables cagoules médiévales que portent ici skieurs et skieuses », écrit-il à la comtesse Maeterlinck le 6 février[29]. Ce Moyen-Âge rêvé, typique du tournant du siècle et des mises en scène initiales de Pelléas, devient un filtre esthétique et fantasmatique au travers duquel Cocteau choisit de regarder ses contemporains.
Un traitement similaire est réservé au bouquet de fleurs que Mélisande porte lors de sa rencontre avec Pelléas. À celui-ci, qui propose de lui prendre la main, elle répond « J’ai les mains pleines de fleurs », symbole ambivalent et directionnel indiquant l’amour naissant autant que son impossibilité. Cocteau va acheter aux pompes funèbres un bouquet d’enterrement qu’il fait recouvrir de peinture argentée : « Et voilà des fleurs qui correspondent à l’irréalisme du décor et de Mélisande[30]. » Détail réaliste (le bouquet de pompes funèbres) et déréalisation (la couleur argentée), maintien du symbole mais écart par rapport au cliché qu’il a engendré sont nécessaires pour lui garder sa profondeur.
Aussi les détails qui semblent relever d’une esthétique symboliste, à la fois présente et mise à distance, constituent-ils moins une forme de fidélité à la mise en scène initiale qu’un souvenir de réception qui devient pour Cocteau matériau créatif. C’est ce que semble indiquer une comparaison de l’entretien radiophonique que Cocteau livre à la veille de la première de l’opéra avec son journal de la même période. Cocteau invoque à la radio une caution historique à son geste esthétique : Debussy aurait émis en sa présence le souhait d’un décor relevant du « japonisme mallarméen » pour son opéra[31].Toutefois le journal présente ce recours à des catégories esthétiques « d’époque » comme une simple justification a posteriori de choix esthétiques bien personnels :
Le japonisme mallarméen de l’époque Pelléas et les dessins de Manet pour L’Après-midi d’un faune, voilà sur quoi je m’appuie après-coup en disant aux journalistes que le style de mes décors vient de là[32].
Ce qu’il s’agit de faire sentir par-delà la citation ou le réemploi de ces gestes esthétiques datés, c’est bien plutôt la réalité élargie qu’a pressentie Maeterlinck, et sa démarche esthétique proche de celle de Cocteau lui-même, visant au même « réalisme irréel[33] ». C’est ce « réalisme irréel », caractéristique de la pièce, de l’œuvre et de l’homme lui-même, qui devient le fil conducteur de l’hommage prononcé à Bruxelles.
L’ange et le cosmonaute : réalismes et incarnations
Au début de celui-ci, Cocteau rappelle en effet l’origine de ses échanges avec Maeterlinck : le motif de la première lettre qu’il lui adresse en 1947, juste après avoir tourné La Belle et la bête, c’est ce désir, « rêve » plutôt que « projet[34] », de porter à l’écran Pelléas et Mélisande[35]. Sans doute la recherche esthétique de ce film centrée sur l’esprit d’enfance, l’animalité, et le juste dosage du réalisme et du merveilleux[36] trouve-t-elle des échos dans plusieurs œuvres de Maeterlinck. Derrière ses refus répétés de mettre en scène l’opéra, il y aurait donc eu un projet artistique : confier au cinéma, malgré les réserves de Maeterlinck, la tâche de « montrer l’irréel avec l’évidence du réalisme[37] », et proposer ainsi une réponse créative, à la version debussyste : une autre incarnation de l’œuvre.
En effet, le malentendu qui a entraîné les « rires cruels » du public aux premières de Pelléas et fait renoncer Cocteau à son projet d’adaptation cinématographique se trouve levé si l’on comprend cet équilibre fragile entre réel et irréel qui conditionne la bonne interprétation, non seulement de Pelléas et Mélisande, mais aussi de Maeterlinck lui-même et de l’ensemble de son œuvre. Les androïdes[38] du premier théâtre ne manquent pas de réalisme comme des pantins au mécanisme « plaqué sur du vivant », suivant la définition bergsonienne du comique. Au contraire, l’automatisme de la marionnette, imaginaire ou réelle, révèle une autre dimension de la réalité humaine et nous fait accéder à une émotion profonde. Cette « réalité qui nous bouleverse » et « fait pleurer à Metz un dimanche après-midi[39] », c’est la mécanique tragique de l’homme aveuglément mû par autre chose que lui-même vers une fin qui le dépasse et l’anéantit.
Or ce malentendu dans la réception est pour Cocteau en partie fondé sur « le contraste entre l’individu et l’œuvre[40] ». Le discours de Bruxelles s’ouvre par cette double nature de Maeterlinck qui explique sa créativité : « Il est clair que Maeterlinck était visité par un ange[41]. » Le rapport à la mort (frontière poreuse et dénuée de réalité véritable) et au surnaturel du dramaturge en font un être hybride, médiateur du surnaturel, mais aussi « gentleman-farmer[42] » qu’on imaginerait bien sifflant sa propre pièce plutôt que l’ayant écrite (et ailleurs « ange travesti [en] businessman robuste et sportif[43] », « robuste Ariel en costumes de tweed[44] » ou encore « ange déguisé en Barnabooth[45] »). Le dramaturge est ainsi associé à des images de mouvements tantôt comiques (quand il sème sa compagne Georgette Leblanc, piégée dans les paradoxes de l’incarnation paradoxale de son amant, en robe à traîne au cours de longues courses à vélo ou n’arrive plus à descendre de sa motocyclette[46]), tantôt sublimes et ascensionnelles : Maeterlinck est sous sa plume l’« aérolithe », et plusieurs fois le « cosmonaute[47] », mi-pragmatique, mi-surnaturel, mais sans être jamais éthéré, lui dont le style « passe avec aisance du plancher des vaches au ciel astral et aux obscurs phantasmes du songe[48] ». C’est donc par son réalisme même, et au cœur de sa réflexion scientifique, qu’il parvient comme le cosmonaute à s’ouvrir au surnaturel.
En commentant une photographie de l’auteur vieillissant, trouvée dans un ouvrage critique, dont la lecture a influencé la révision de son discours (fig. 2), Cocteau offre à ses auditeurs une ultime vision harmonisée de l’homme et l’œuvre : le portrait réunit le cosmonaute ancré dans la réalité scientifique de son temps et ce « vieil ange mal à sa place sur la terre[49] », tourné déjà vers la mort et divers au-delàs dont il traque la résonance dans notre vie[50]. Dans la seconde version du discours, Cocteau décrit ce « masque d’un personnage un peu surnaturel » comme s’il était « en train de regarder la mort en face et de se demander si elle n’est pas une simple métamorphose analogue à celle des chenilles – une forme transcendante de vie[51] ». L’intuition qu’a Maeterlinck d’une porosité entre la mort et la vie qui rend caduque l’une et l’autre catégorie est donc nourrie non seulement par les anges qui le visitent (comme peut-être son frère mort très jeune et que Maeterlinck a pu rattacher à la genèse de certaines pièces), mais aussi par l’observation matérielle de la vie éphémère des insectes auxquels il consacre une partie de son existence et de son œuvre, et qui lui vaut un succès populaire et international[52].
Cosmonaute, ange ou insecte présentent trois être-au-monde ascensionnels, ouverts vers la mort et le surnaturel. La figure de l’ange, si importante dans l’univers de Cocteau, trouve ainsi sa place au milieu d’avatars maeterlinckiens[53]. En faisant varier les « registres ontologiques[54] » et les types d’incarnation, et en insistant plus particulièrement sur l’incarnation entomologique, Cocteau fait de celle-ci la clé de compréhension de l’œuvre de Maeterlinck dans son intégralité.
De la princesse à l’abeille : Mélisande au filtre entomologique
La chenille n’est en effet pas le seul insecte convoqué par Cocteau pour évoquer l’œuvre maeterlinckienne, et ce dès la première version du discours : outre la mante religieuse debussyste déjà évoquée, Maeterlinck est lui-même qualifié de « dramaturge amphibie[55] » à l’instar des araignées argyronètes qu’il a étudiées dans L’Araignée de verre ; enfin, l’abeille, autre être-créature des airs, devient le troisième avatar après l’ange et le cosmonaute de ces incarnations hybrides, en suspens entre deux mondes qui caractérisent l’homme et l’œuvre. Elle est pour Cocteau un mode d’incarnation de Mélisande plus authentique que sa figuration en princesse éthérée[56] :
Si vous vous étonnez de ce que je ne vous entretienne que de Pelléas au lieu de m’étendre sur une œuvre très vaste, c’est que des Serres chaudes qui ne quittaient pas la table de travail d’Apollinaire à la Vie des abeilles en passant par son œuvre théâtrale je découvre une sorte de lien obsessionnel dont le vol nuptial de la reine des abeilles et de Mélisande serait l’apothéose[57].
Le zeugme signifiant unissant la reine des abeilles et Mélisande comme deux agents interchangeables d’un même vol nuptial est une intuition centrale : Cocteau la répète dans le texte des programmes de l’opéra, à Metz— « Pelléas est une pièce ensemble réaliste et irréelle. On y souffre d’amour et de solitude mais la mort de Mélisande nous fait penser au vol nuptial d’une abeille[58] » —puis à l’Opéra-comique en 1963 — « Puisse la profonde et douce lumière de Maeterlinck traverser cette ruche et m’éviter d’alourdir le vol nuptial de Mélisande semblable à celui des abeilles[59] ».
Il s’agit là d’un nouveau filtre pour une lecture à rebours : aborder le premier théâtre de Maeterlinck non pas seulement au prisme d’une autre époque, d’une autre subjectivité artistique, mais bien au filtre de son œuvre naturaliste et entomologique ultérieure[60]. La mécanique inconsciente du drame et le sentiment que les personnages sont agis rappellent l’agentivité inconsciente et collective de la ruche, que Maeterlinck a détaillée dans La Vie des abeilles, et qu’il a observée depuis l’enfance.
Cocteau n’est pas le seul à avoir exprimé cette intuition : en 1902, un an après la parution de l’édition de 1901 du premier théâtre, et l’année de publication de La Vie des abeilles, et de son succès international, Rilke notait lui aussi :
Les petites abeilles ouvrières chétives furent peut-être les premiers modèles de ces personnages féminins […] qui se comportent sans paraître comprendre, et l’on ne se tromperait pas si l’on voulait étendre la comparaison et chercher à reconnaître les reines et les bourdons, les larves endormies et les reines combattantes aussi dans ces étranges poèmes dramatiques[61].
Les relations entre Cocteau et Rilke[62], purement épistolaires et indirectes[63], ne permettent pas d’inférer un emprunt.
En revanche le critique Jean-Marie Andrieu, dont Cocteau fait un pivot dans la composition de son discours, met lui aussi en évidence une dramaturgie entomologique par où Maeterlinck lie pensée dramatique, appréhension du surnaturel et spectacle de la vie animale :
La Vie des abeilles est un livre où l’observation se pare de toute la richesse du merveilleux, où les faits s’ordonnent en féerie, où, dans l’animal, transparaît le divin. Nous assistons au déroulement d’un drame sacré dont les personnages sont des princesses adolescentes, prisonnières ou souffrantes, des vierges guerrières, des amants sacrifiés qui gravitent autour d’une reine[64].
Le corpus entomologique serait donc déterminant pour comprendre l’intégralité de l’œuvre :
En ramenant les gestes de ses personnages, d’autre part si émouvants, à des affolements de petits animaux traqués, Maeterlinck procède à une forme de démonstration : le sort de l’espèce humaine rejoint celui du règne animal. En dépit de ses puissances d’amour, de son sens de la beauté, l’Homme subit le même destin implacable que l’insecte. Là est la tragédie.
Ce sens humain du Poème, ce sens d’une Tragédie inhumaine, tels sont les deux pôles autour desquels gravite l’inspiration du dramaturge. Nous pourrons toujours citer Shakespeare et Ibsen, mais il semble que les bourgeois de Gand et l’étude des abeilles jouent un rôle bien plus considérable à l’origine de ce mécanisme qui touche à la chair et au sang : l’oppression des petites villes et la gloire des jardins[65].
La commune condition tragique de l’insecte et de l’homme se joint à l’idée d’un « mécanisme qui touche à la chair et au sang », celui-là même que Cocteau oppose à la mécanique comique bergsonienne : cette dimension involontaire et automatique nous met au plus près de l’instinct animal, d’un inconscient organique et supra-individuel que l’insecte social, entièrement subordonné [et souvent sacrifié] à la survie de son espèce, vient incarner[66]».
Andrieu a ainsi pu conforter Cocteau dans cette lecture protoécologique, qui retrouve aujourd’hui un regain d’intérêt[67] : peut-être la période des années 1960, où la lecture symboliste n’était plus suffisamment « actuelle » et où la vision d’un Maeterlinck précurseur de toute notre modernité théâtrale n’avait pas encore cours, était-elle favorable à une telle proposition de lecture.
Chenille, abeille, ange, ou cosmonautes-motocyclistes endiablés : Cocteau évoque Maeterlinck par une répétition de gestes ou d’attitudes existentielles, en un réseau métaphorique obsédant (les images circulent d’un texte à l’autre) mais détaché de tout symbolisme strict. Les référents alternent (la mante incarne Pelléas, puis Maeterlinck lui-même), les images changent de mode de signification. De la deuxième à la troisième version du discours, Cocteau retravaille ainsi le symbole de la chenille contemplée par Maeterlinck (la mort n’est qu’une métamorphose), pour en faire une métaphore incarnée. Il précise en effet que la chenille est celle du sphinx tête-de-mort, papillon qui aborde soudain au sortir de la mue des ailes ornées d’une tête de mort, illustrant dans son apparence même la superposition de la mort et de la vie vibrante que Cocteau célèbre chez Maeterlinck. Les images entomologiques permettent ainsi de saisir le rapport aux morts et au surnaturel au cœur même de l’observation de la nature, et d’en faire un principe unificateur de l’œuvre entière. Prise dans ce réseau, l’image de la mante dévoratrice appliquée à la musique de Debussy perd de son pouvoir critique : elle est aussi une image organiquement tirée de la vision du monde maeterlinckienne (lui aussi appliquait aussi à l’analyse de certaines œuvres de théâtre des métaphores issues de la ruche), et semble indiquer que dans la création comme dans l’univers maeterlinckien, prédation et amour ne sont jamais distincts.
Pendant qu’il travaillait à la scénographie de l’opéra, Cocteau notait dans son journal être le seul à pouvoir restituer un véritable Pelléas maeterlinckien dégagé de l’ombre portée de l’opéra debussyste[68]. L’hommage qu’il rend au dramaturge belge est donc un texte palimpseste à plusieurs égards. D’une part, sa réflexion se poursuit dans divers textes et sur divers supports artistiques, et dans un dialogue continu avec le geste créateur de Debussy, avec celui, avorté, de Satie, et plus généralement avec ce que la postérité a fait de Maeterlinck : même si le discours sur Debussy s’est apaisé, Cocteau continue de positionner sa création par rapport à cette première réception créatrice. D’autre part, Cocteau nous propose d’aborder l’œuvre de Maeterlinck à rebours : les pièces emblématiques d’avant-garde composées entre 1888 et 1896 sont revues au travers du filtre d’écrits naturalistes postérieurs (le premier ouvrage naturaliste paraît en 1902), qui servent à comprendre les pièces les plus connues, et à rendre à la démarche esthétique de Maeterlinck une complexité qui ne saurait se résoudre à ce que l’histoire littéraire a retenu et caricaturé sous la commode et imprécise dénomination de « symbolisme » ou d’« impressionnisme ». Cette démarche permet à la féerie de Cocteau de rencontrer la féerie maeterlinckienne, et aux androïdes de Maeterlinck de se rapprocher des anges de Cocteau : formes de vie intermédiaires et indéfinies, qui tiennent de l’abeille, du cosmonaute autant que de l’aérolithe, ils signalent une œuvre, où, comme dans celle de Cocteau lui-même, « se consomment les noces du conscient et de l’inconscient, noces d’où naît la race énigmatique des chimères[69] ».
[1]En 1962 et 1963 sont créés le Requiem, l’Impromptu du Palais royal, le Cordon ombilical, ou encore les vitraux de l’église Saint-Maximin de Metz. Christian Schmitt vient de faire paraître l’ouvrage Comme dans un rêve (éditions Jalon, 2023) consacré à l’activité de Cocteau à Metz en 1962, que nous n’avons malheureusement pas pu consulter.
[2] Le spectacle, donné à Metz les 22 et 23 septembre 1962, sera ensuite repris dans la même mise en scène à l’Opéra-Comique l’année suivante.
[3]« Discours de M. Jean Cocteau au nom de l’Académie française », Bulletin de l’ARLLFB, t. XL, n° 3, 1962,p. 159.
[4]Ibidem.
[5]Ibid., p. 155.
[6] Malou Haine, « Claude Debussy vu par Jean Cocteau », Revue musicale OICRM, 2, n° 1 (2014), p. 191-211.
[7]Jean Cocteau, « Pelléas et Mélisande », déclaration au micro de Pierre Chanel, à propos de Barrès et des représentations de Pelléas et Mélisande et de Renaud et Armide au Ve Festival international de Metz (21-30 septembre 1962), enregistrement effectué au théâtre de Metz pendant une répétition de Pelléas et Mélisande le 21 septembre 1962 ; et « Entretien avec Henri Jaton pour la radio suisse romane », dans Jean Cocteau, Écrits sur la musique, David Gullentops et Malou Haine (éd.), Paris, Vrin, 2016, textes 285 et 286, p. 572-578.
[8] Ces textes font aussi l’objet d’une analyse qui met en valeur les traces de l’influence de Maeterlinck dans l’œuvre de Cocteau. Voir David Gullentops, « Hommages de Jean Cocteau aux écrivains belges », Jean Cocteau et la Belgique, Bruxelles, Bulletin de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique (en ligne), 2007, p. 1-25. Les documents que David Gullentops nous a généreusement transmis, ainsi que ceux du fonds Cocteau communiqués par Sandra Blachon, ont nourri cette étude.
[9]Voir l’article suivant de David Gullentops dans ce volume.
[10] Les articles de David Gullentops et de Malou Haine déjà cités.
[11]Jean Cocteau, Le Passé défini VIII. 1962-1963, Paris, Gallimard, 2013, Mardi 26 juillet 1962, p. 129.
[12]Romain Dauphin-Meunier retrace dans son mémoire d’Histoire de l’art les étapes de ce travail, dont des traces subsistent dans le dernier tome du Passé défini : « Les décors de Pelléas et Mélisande à l’Opéra-Comique de Jusseaume à Cocteau », mémoire de muséologie de deuxième cycle, première année, soutenu à l’École du Louvre, Paris, 2005.
[13]Dix ans après la reprise de la mise en scène originale de l’opéra de Debussy à l’Opéra-comique en 1953 ; mais l’esthétique évoquée par Cocteau rappelle aussi la création de la pièce originale en 1893.
[14] Dès 1952, voir Jean Cocteau, Le Passé défini I. 1951-1952, Paris, Gallimard, 1983, 18 août 1952, p. 319.
[15]Cette imagerie est toutefois débarrassée de la virulence des attaques des années 1920. Andrieu que Cocteau lira pendant la relecture de son discours, utilise la même image : « Avant tout, Pelléas et Mélisande est un grand texte, un grand œuvre de magie douce et virile, simple dans son évolution et riche de prolongements, un texte dont les mots chantent aux yeux comme à l’oreille. » Dans Jean-Marie Andrieu, Maurice Maeterlinck, Paris, PUF, 1962, p. 46.
[16]« Discours de M. Jean Cocteau au nom de l’Académie française », op. cit., p. 156.
[17]Parfois vivement critiqués : voir par exemple Jacques Lonchampt, « Pelléas et Mélisande dans les décors de Cocteau », Le Monde, 1962. La reprise de sa mise en scène à l’Opéra-comique en 1963, où l’éclairagiste joue sur les demi-teintes et les niveaux de gris du décor, sera mieux reçue.
[18] Satie s’était ouvert à Debussy de son souhait de mettre en musique La Princesse Maleine en formant le premier le projet d’un décor et d’un climat musical, dont Debussy s’emparera. Voir Jean Cocteau, Écrits sur la musique, op. cit.,textes 50-72-286.
[19] Ibidem, texte 206 : « Le Groupe des Six. À Vol d’oiseau » dans Les Cahiers du disque n° 8, mars 1954, p. 45.
[20]À propos de l’entretien radiophonique cité infra., voir Jean Cocteau, Le Passé défini VIII, op. cit., Mardi 18 septembre 1962, p. 186.
[21] Ibidem, Jeudi 22 mars 1962, p. 70 : « J’ai fait les décors en transparence de Pelléas. Si je m’applique, je rate. Je dois dessiner très rapidement et mal. Avec des calques j’ai relevé les vieux décors de l’Opéra-comique. Là-dedans évolueront des personnages en costume médiéval d’une grâce exquise. »
[22]« Pelléas et Mélisande », Entretien radiophonique, dans Cahiers Jean Cocteau, Jean Cocteau et la radio, Pierre-Marie Héron (éd.), nouvelle série n°8, Paris, Éditions Non Lieu, 2010, p. 181.
[23] Ce souvenir a pu être ravivé par la reprise des décors de la mise en scène originale de Jusseaume et Roncin à l’Opéra-comique en 1952.
[24] Jean Cocteau, Le Passé défini VIII, op. cit., Dimanche 18 mars 1962, p. 67 : « Demain j’ai rendez-vous avec le jeune homme qui m’ébauche les vieux décors de Pelléas. Je compte, à l’aide du calque, dessiner très librement sans couleurs et reporter ces grandes esquisses sur des toiles transparentes entre lesquelles évolueront les costumes très inventés et très multicolores. »
[25]Maeterlinck les utilise dans d’autres pièces, mais pas dans Pelléas et Mélisande. Ainsi, quand Cocteau rapporte dans le Passé défini la réaction de certains artistes à la présence des tulles : « Que disait à Doublier Madame de Tianan ? Pelléas derrière une transparence ? Mais cela ne s’est jamais fait. Alors il faut le faire » (Ibid., Mardi 18 septembre 1962, p. 186), il omet de préciser que ce détour est bien plutôt un retour à un élément habituel de la dramaturgie symboliste, même si c’est une première pour la pièce elle-même et pour l’opéra.
[26]On peut consulter quelques photos de cette mise en scène sur le site de la Bibliothèque nationale de France [ark:/12148/btv1b10800273v], ainsi que dans un numéro de L’Avant-scène opéra consacré à Pelléas et Mélisande (mars-avril 1977).
[27]Le rideau de scène, visible par exemple dans L’Avant-scène opéra, n° 266, 1998, p. 36 porte les traces de la saisie androgyne que pouvait impliquer un tel geste, même si ces cagoules étaient portées par les reines médiévales sous leur couronne d’après Cocteau.
[28] La scène iconique de la tour du haut de laquelle Mélisande laisse tomber ses cheveux vers Pelléas, au troisième acte, et celle du quatrième acte ou Golaud traîne Mélisande par les cheveux.
[29] Lettre de Jean Cocteau à Renée Maeterlinck datée du 6 février 1962 (voir l’article suivant de David Gullentops). Il précisera dans le programme cette vision, où le médiévalisme n’est qu’une façon de mythifier le contemporain : il y explique comment il a cherché à « accentuer le relief du style médiéval des costumes auxquels [il] songeait sur les neiges d’Engadine en regardant skieurs et skieuses pareils aux archers et aux belles dames de Dürer, Cranach ou Holbein ». Voir « Pelléas et Mélisande », texte de présentation figurant dans le programme du cinquième festival international de Metz (21-30 septembre 1962) et repris avec d’infimes variantes dans L’Opéra de Paris, no 22, 1964, p. 52-53 (voir Écrits sur la musique, op. cit., p. 570-571).
[30]Jean Cocteau, Le Passé défini VIII, op. cit., 19-20 septembre 1962, p. 188.
[31] Ce rapprochement est explicité dans les entretiens radiophoniques par la mention des illustrations faites par Manet pour L’Après-Midi d’un faune, autre ressaisie créatrice d’un autre texte « dévoré » par Debussy, et dont l’esquisse rappelle le style des estampes japonaises.
[32]Jean Cocteau, Le Passé défini VIII, op. cit., Vendredi 21 septembre 1962, p. 188.
[33]« Discours de M. Jean Cocteau », op. cit., p. 159 : « Si mon âme était accessible à la jalousie, je serais jaloux d’une pièce ouvrant les portes à ce réalisme irréel qui apparaîtra un jour comme le privilège d’art de notre époque. »
[34] Lettre de Jean Cocteau à Maeterlinck, 1947 (voir l’article ci-après de David Gullentops).
[35] Bien qu’il ait consacré des textes à Georgette Leblanc, nous ne savons pas s’il a eu connaissance de sa tentative de filmer une représentation théâtrale de Pelléas et Mélisande tournée dans le décor naturel de l’abbaye de Saint Wandrille, en 1910.
[36] Christian Schmitt souligne dans son blog les ponts possibles entre le travail de Cocteau sur les gravures de Doré pour La Belle et la bête et sur les images des décors de Ronsin et Jusseaume pour Pelléas et Mélisande. Certaines notes du Journal d’un film, comme celle du 22 décembre 1945, évoquent par ailleurs une démarche proche de celle de Maeterlinck dans L’Oiseau bleu utilisant la présence animale pour retrouver « le style féérique dans le réalisme […] le vrai de l’enfance. La féérie sans fées. La féérie des cuisines. » Voir Jean Cocteau, La Belle et la bête, journal d’un film, avec vingt-quatre planches hors texte en héliogravure, Paris, Janin, 1946, p. 177.
[37] Jean Cocteau, Du cinématographe, Paris, Éditions du Rocher, 2003, p. 243.
[38] Dans le texte critique « Pour un théâtre d’androïdes », Maeterlinck appelle ainsi ses personnages, soulignant leur saisie mi-humaine, mi-marionnette, automate, et, si l’on suit la pensée de Cocteau qui est aussi la nôtre, mi-animalisée.
[39]« Discours de M. Jean Cocteau », op. cit., p. 156.
[40]Ibidem, p. 157.
[41]Ibid., p. 155. Nous ne revenons pas ici sur les liens entre mort, créativité et figure de l’ange développés par Serge Linarès dans « Les Métamorphoses de l’ange dans l’œuvre de Jean Cocteau », L’Entretien du ciel et de la terre, Alain Génetiot, Camille Vennet [dir.], Paris, Classiques Garnier, p. 279-299.
[42] « Discours de M. Jean Cocteau », op. cit., p. 159.
[43]Ibidem, p. 155.
[44]Pour Jean Cocteau, « L’Homme », voir l’article suivant de David Gullentops dans ce volume. Cette image serait-elle un emprunt à l’hommage de Robert Vivier prononcé le même jour que celui de Jean Cocteau à l’Académie Royale qui l’utilise aussi ? Cela pourrait permettre de préciser la date de cet inédit (entre le 29 septembre 1962 et le 11 octobre 1963). Elle tire sa puissance de sa résonance avec l’œuvre de Maeterlinck : emprunt à la féerie shakespearienne La Tempête, le personnage féminisé ressurgit dans Joyzelle, féerie composée par Maeterlinck en 1902 et permet de poser à nouveaux frais la question de l’incarnation théâtrale, du surnaturel et du degré de réalité de nos désirs et de nos rêves. C’est de fait autour de la ressaisie de la féerie que les gestes esthétiques de Cocteau et de Maeterlinck semblent se rencontrer.
[45] Cocteau fait ici référence au « barbare » américain milliardaire, double cynique, mais aussi touchant créé par Valéry Larbaud pour exprimer par son truchement une angoisse et une forme de désancrage métaphysique dans Les Poèmes de A. O. Barnabooth en 1908. Cette figure elle-même ambiguë offre un écho intéressant à l’incarnation paradoxale de Maeterlinck.
[46]Voir Guy Ducrey, « Georgette Leblanc est-elle un “monstre sacré” ? Questions sur une préface de Jean Cocteau (1947) », dans Q. Rioual, S. Lucet, A. Orozco, M. Régent (éds), Le Cas Georgette Leblanc (1869-1941) Une artiste au cœur des échanges artistiques et intellectuels de champs modernistes transnationaux, à paraître.
[47]« Discours de M. Jean Cocteau », op. cit., p. 157 « Un gentleman-farmer, un dormeur debout, un cosmonaute ». Dans « L’Homme » il est comparé à ces enfants qui rêvent et « confondent ingénieux et ingénieur, cro[yant] qu’en fabriquant des machines volantes au lieu de faire leurs devoirs, ils deviendront pilotes ou célèbres cosmonautes » (op. cit.).
[48]Ibidem.
[49]Ibid., p. 158.
[50]Sur ce sujet, David Gullentops indique dans son article cité plus haut plusieurs points de contact entre l’œuvre de Cocteau et celle de Maeterlinck, notamment l’influence de l’essai L’Hôte inconnu sur les 7 Dialogues avec le Seigneur inconnu qui est en nous.
[51] Pour ces deux citations, voir la deuxième version inédite du discours.
[52] La Vie des abeilles en 1902 et L’Intelligence des fleurs en 1908.
[53] Ce qui n’est pas très étonnant, si l’on se rappelle l’influence des essais L’Hôte inconnu et La Vie de l’espace sur la constitution de la figure de l’ange chez Cocteau, soulignée par Danièle Chaperon dans « Anges et spectres (Cocteau, Maeterlinck, Flammarion », Quaderni del Novocento Francese 15, Roma, Bulzoni, 1992, p. 227-253.
[54] L’expression est de Vinciane Despret, Au bonheur des morts, récits de ceux qui restent, Paris, La Découverte, 2017, p. 200.
[55] « Discours de M. Jean Cocteau », op. cit., p. 157.
[56] Jean Cocteau, « L’Homme », op. cit.
[57]« Discours de M. Jean Cocteau », op. cit., p. 157.
[58] « Pelléas et Mélisande », op. cit., p. 570-571.
[59] Ibidem, p. 571.
[60] Cette idée est développée dans ma thèse « “Le Vol nuptial de la reine des abeilles et de Mélisande” : poétique de la Nature dans l’œuvre de Maurice Maeterlinck », en cours de publication aux éditions Droz.
[61]Rainer Maria Rilke, « Maurice Maeterlinck », dans Das Literarisher Echo, 1901, édité par Stefan Gross dans Maurice Maeterlinck und die Deutschsprachige Literatur, Mindelheim Sachon, 1985, p. 200 [notre traduction].
[62]Rilke a eu le projet de traduire l’Orphée de Cocteau qu’il avait vu dans la mise en scène de Reinhardt, ce dernier ayant également mis en scène plusieurs pièces de Maeterlinck (Pelléas et Mélisande, ains qu’Aglavaine et Sélysette et Sœur Béatrice dont Rilke a fait la critique), ce qui rend possible une circulation indirecte des idées.
[63]Et largement réimaginées par Cocteau. Voir Michel Raimond et Jean Touzot, « Une Lettre Inédite de Jean Cocteau », Revue d’Histoire Littéraire de La France, vol. 95, n°. 5, 1995, p. 779–781, et Christian Wolter, Jean Cocteau et l’Allemagne, Mythes et réalités de la réception de son théâtre, Paris, L’Harmattan, p. 128-138.
[64]Jean-Marie Andrieu, Maurice Maeterlinck, op. cit., p. 89.
[65]Ibidem, p. 53-54. C’est peut-être enfin en pensant à la dernière phrase d’Andrieu unissant le bourgeois de Gand aux abeilles que Cocteau évoquera dans « L’Homme » le « monde aussi mystérieux que celui des abeilles » qui est « miel blond, parfumé de plantes flamandes. » (op. cit.).
[66]En assistant à la première de l’opéra à Metz, Cocteau exprimera le même sentiment à propos de la dernière réplique de l’œuvre : « C’est au tour de la pauvre petite », qui reporte l’attention non sur le drame sentimental et la mort de Mélisande, mais sur la temporalité cyclique du monde naturel (sa fille est vouée à un retour cyclique de la tragédie) qui altère la réception du drame humain en le replaçant dans l’échelle temporelle de l’espèce : Jean Cocteau, Le Passé défini VIII, op. cit., Dimanche 23 septembre 1962, p. 190 : « Hier dans les coulisses en écoutant Arkel à la fin de Pelléas, je pensais à cette particularité du drame : la petite fille. D’habitude le rideau baisse sur un mort et c’est le point final. Ici, un autre drame commence : “C’est au tour de la pauvre petite”. Quel sera le sort de cette malheureuse dans ce château sinistre, frappé par la foudre ? »
[67] Voir par exemple la mise en scène de L’Intruse par Emmanuel Texeraud en 2014 au Carthago delenda est qui exploite cette saisie entomologique.
[68] Jean Cocteau, Le Passé défini VIII, op. cit., Lundi 2 avril 1962, p. 80.
[69]« Discours de M. Jean Cocteau », op. cit., p. 157.