À bien des égards, Jean Cocteau apparaît comme l’une des figures majeures de la scène littéraire et artistique du XXème siècle. Tour à tour acteur, témoin et chroniqueur de son temps, le poète a marqué durablement les mémoires au point de devenir une figure emblématique, un personnage à part entière. De son vivant déjà, celui qui se présentait comme « un mensonge qui dit toujours la vérité » (Opéra, 1927) était mis en scène, sous pseudonyme, par de prestigieux romanciers comme Proust, Gide ou encore Martin du Gard. Certains auteurs n’hésitaient pas non plus à exploiter l’aura médiatique du poète en le convoquant nommément au sein des fictions les plus fantaisistes. Si ces premières utilisations fictionnelles de la figure du poète sont à relier avec le contexte artistique et médiatique, il est plus surprenant de constater que le phénomène ne cesse pas en 1963. Le personnage coctalien continue à intriguer et suscite un réel engouement de la part de la fiction contemporaine sous ses formes les plus diverses.
C’est tout d’abord en tant que figure emblématique d’une époque qu’il est convoqué dans la trilogie romancée Les Aventuriers de l’Art moderne[1] de Dan Frank, adaptée par la chaîne Arte en 2015. Mais certains auteurs se plaisent à investir des épisodes emblématiques de la vie du poète afin d’en compléter les vides ou d’en réécrire l’histoire. Ainsi Olivier Rasimi revient sur la période Radiguet dans Cocteau sur le rivage[2] tandis qu’Erik Martiny s’inspire très librement de l’amour transi de Franz Thomassin pour Cocteau dans Ne Soyez pas timide[3]. Jean-Paul Delfino, quant à lui, développe dans Les Pêcheurs d’étoiles[4] une intrigue totalement fictive dans laquelle Cendrars et Satie sont à la recherche de Cocteau, qui leur a volé l’argument d’un opéra. Plus encore que les romans, c’est le domaine de la BD qui s’intéresse à Cocteau et à son profil emblématique. Alors qu’une biographie complète vient de paraître chez Casterman[5], le poète a d’abord joué les seconds rôles dans des ouvrages consacrés à Violette Morris[6] ou encore Al Brown[7] tandis que le diptyque Dans les eaux glacées du calcul égoïste[8] offre un portrait bien plus romancé. Il faut également mentionner le petit comme le grand écran qui, après avoir rendu hommage à l’œuvre cinématographique coctalienne, font de l’homme lui-même un personnage de fiction, qu’il soit simple figurant dans Minuit à Paris (2011)de Woody Allen et la mini-série La Garçonne (2020), diffusée récemment sur France-Télévision, ou personnage central dans Opium (2013) d’Arielle Dombasle.
Il s’agira dans ce dossier thématique de s’interroger sur ce phénomène de mise en fiction de la figure coctalienne afin d’en étudier les différentes modalités (études de cas) mais aussi ses conséquences en termes de réception et d’image d’auteur (quels traits saillants sont conservés, accentués ou au contraire éludés ?). La diversité des formats employés nous invite à nous interroger sur l’éventuel rapport entre le médium employé et les caractéristiques prêtées au personnage. Enfin, il ne faut pas négliger la piste historique et se demander quel Cocteau est esquissé selon les époques.
Les propositions de contribution (max. 1 page) accompagnées d’une notice bio-bibliographique sont à envoyer par courriel à Audrey Garcia et David Gullentops pour le 28 mars 2021, à l’adresse suivante : contribuer@cahiersjeancocteau.com La publication du numéro est prévue pour octobre 2021 et les manuscrits devront parvenir à la rédaction au plus tard le 31 juillet 2021.
Bibliographie indicative
Rémi Fontanel (dir.), Biopic : de la réalité à la fiction, Condé-sur-Noireau, Editions Charles Corlet, 2011.
Alexandre Gefen, Inventer une vie. La fabrique littéraire de l’individu, Bruxelles, Les impressions nouvelles, 2017.
Alexandre Gefen, « La fiction biographique, essai de définition et de typologie », Otrante : art et littérature fantastiques, Paris, Kimé, 2004, 16.
Charline Pluvinet, « L’auteur déplacé dans la fiction : configurations, dynamiques et enjeux des représentations fictionnelles de l’auteur dans la littérature contemporaine », thèse de doctorat sous la direction d’Emmanuel Bouju, soutenue le 6 novembre 2009, Université Rennes 2.
Jean Touzot, Jean Cocteau et ses doubles, Paris, Bartillat, 2000, 293 p.
Colloque « L’écrivain personnage de fiction », organisé par Jean-Christophe Valtat et le RIRRA 21 à l’Université Paul Valéry-Montpellier 3, du 6 au 7 mai 2014. https://www.fabula.org/actualites/l-39-ecrivain-personnage-de-fiction_63831.php
[1] Cette trilogie, composée de Bohèmes (1998), Libertad (2004) et Minuit (2010), a été republiée en un seul volume chez Grasset en 2015 sous le titre Le Temps des Bohèmes.
[2] Olivier Rasimi, Cocteau sur le rivage, Paris, Arléa, 2019, 168 p.
[3] Erik Martiny, Ne soyez pas timide, Paris, Pierre-Guillaume De Roux, 2019, 304 p.
[4] Jean-Paul Delfino, Les Pêcheurs d’étoiles, Paris, Le Passage, 2016, 233 p.
[5] François Rivière, Laureline Mattiussi, Cocteau, l’enfant terrible, Paris, Casterman, 2020, 256 p.
[6] Kris, Bertrand Galic, Javi Rey, Violette Morris, Paris, Futuropolis, 2018, 72 p.
[7] Jacques Goldstein, Alex W. Inker, Panama Al Brown, Paris, Éditions Sarbacane, 2017, 168 p.
[8] Lancelot Hamelin, Luca Erbetta, Dans les eaux glacées du calcul égoïste, 2 tomes, Paris, Glénat, 2018.