Cahier sous la direction d’Audrey Garcia
À bien des égards, Cocteau apparaît comme l’une des figures majeures de la scène littéraire et artistique du XXe siècle. Par-delà son œuvre et sa conception unique de la poésie, c’est également l’homme qui a marqué les esprits. Tour à tour acteur, témoin et chroniqueur de son temps, Jean Cocteau s’impose comme un être hors-normes, un personnage à part entière, capable de conjuguer réalité et fiction lorsqu’il effectue par exemple un tour du monde en 80 jours. Il n’est donc pas surprenant que la littérature ait souhaité s’emparer du poète. Mais comment se saisir du personnage Cocteau ? Quelle place lui donner ? Quelles modifications opérer ?
Afin de répondre à ces questions, notre dossier thématique, intitulé « Cocteau en fiction(s) », propose un parcours temporel, géographique et générique de fictions qui intègrent Cocteau dans leur dispositif. Il s’agira de voir ce que la fiction fait à Cocteau mais aussi ce que Cocteau fait aux fictions qu’il investit. C’est tout d’abord la France des années 1930 qui intéresse Audrey Garcia dans un article qui étudie deux œuvres satiriques mettant en scène Cocteau et ses contemporains : Dix ans après, horoscopes futuristes de Jean de Pierrefeu et les Mascarades littéraires d’Yves Gandon. Serge Linarès, quant à lui, propose une étude de la biofiction graphique Cocteau l’enfant terrible de François Rivière et Laureline Matiussi, parue en 2020. C’est au Japon que se poursuit notre parcours avec un article consacré au personnage Gilbert Cocteau dans le célèbre manga Kaze to ki no uta de Keiko Takemiya. À partir de ce manga, qui n’est pas édité en France, Amélie Chabrier s’interroge sur l’utilisation du nom Cocteau dans l’œuvre et ses résonnances en fonction des communautés interprétatives. C’est ensuite le Brésil qui est mis à l’honneur par Wellington Júnio Costa dans un article consacré à la présence coctalienne dans la fiction brésilienne des années 1920 à nos jours et aux différentes modalités d’insertion du personnage dans les œuvres. Enfin le dossier se termine sur un article évoquant le cinéma. À travers l’étude du prologue coctalien au documentaire L’Amérique insolite (1960) de François Reichenbach, Vincent Zeis montre comment le texte et la voix de Cocteau se trouvent pleinement intégrés dans un dispositif fictionnel et multimédia.
La série des Varia comporte trois articles. Dans le premier qui a pour sujet le commentaire que Franck Venaille consacre dans son ouvrage C’est nous les modernes (2010) au dernier recueil de Cocteau Le Requiem, Stéphane Cunescu trace un parallèle entre les deux poètes pour qui l’expérience de la maladie, dans la lignée de Nietzsche et contrairement aux idées reçues, constitue un gage pour la régénération existentielle à travers l’écriture. Le deuxième article présente une édition critique de l’unique manuscrit autographe existant du ballet Le Train bleu, manuscrit que l’on vient de retrouver. Cette édition fournit pour le scénario des variantes susceptibles d’enrichir, voire de corriger la version du texte donnée dans le Théâtre complet, mais apporte aussi de toutes nouvelles informations dans un préambule et un postambule au scénario. D’après ces documents, Cocteau a créé Le Train bleu comme un authentique projet d’avant-garde multidisciplinaire basé sur le concept esthétique de la disparité, un concept qu’il a soigneusement élaboré lors de la genèse de l’œuvre et qu’il désirait étendre à tous les médias en vue de l’exécution du ballet. Le troisième article apporte un précieux complément d’information au dossier précédemment publié sur les relations de Cocteau avec le Liban dans la livraison 16 des Cahiers intitulés Jean Cocteau et l’Orient. Ahmad Chamseddine y précise la mission diplomatique que la France a mise en place au Proche Orient à travers l’organisation du festival de Baalbeck au Liban et revient sur le rôle joué par Cocteau, en partie à son insu, dans cette opération politico-culturelle lorsqu’il a accepté de participer en 1956 à l’une des éditions de cet événement en faisant représenter sa pièce La Machine infernale.
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Nous souhaitons remercier l’ensemble des personnes qui nous ont permis de réaliser ce cahier. En premier lieu les auteurs des articles mais aussi ceux qui, années après années nous aident dans notre mission documentaire. Dominique Marny, présidente du Comité Jean Cocteau, qui nous permet de reproduire textes et dessins du poète ; Anne-Gaële Duriez, déléguée générale du Comité Jean Cocteau dont l’aide est si précieuse ; Claude Arnaud, qui nous a communiqué le manuscrit du Train bleu, Hiroyuki Kasaï qui a bien voulu partager sa connaissance du Japon et des mangas avec nous ; Annie Guédras, experte de l’œuvre graphique de Cocteau, Françoise Leonelli, directrice du Musée Jean Cocteau à Menton et Emmanuelle Toulet, directrice de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. Merci également à Sandra Blachon du fonds Cocteau de l’Université de Montpellier et à Sandrine Faraut du Musée Jean Cocteau à Menton, pour leur disponibilité à nous transmettre informations et documents. Enfin, nous n’oublions pas les mains qui ont travaillé à l’élaboration de ce numéro, au format papier comme numérique, Jean-Bernard Peyronel, notre imprimeur et Loïc Schwaller, notre graphiste et webmaster.