Introduction

Les relations de Cocteau avec l’art et la culture de divers pays européens et extra-européens ont abondamment été étudiées, principalement l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la Grèce, la Belgique, le Liban, l’Égypte, la Chine et le Japon. Ce n’est pas le cas pour l’Angleterre, où seuls certains aspects de ses rapports ont été abordés. Parmi la poignée de textes découverts, mentionnons les études d’Ornella Volta et de Pierre Grouix sur la présence de Shakespeare dans son théâtre[1], l’étude de Peter Read sur ses contributions à la station radio de la BBC[2], deux articles de Pierre Chanel sur la filiation souvent évoquée – mais à révoquer – avec Byron et Wilde[3], la thèse de doctorat de Stephen Holford consacrée à la décoration de Notre-Dame-de-France de Londres[4], enfin la description livrée par Malou Haine d’un projet de spectacle inspiré directement du modèle shakespearien du Songe d’une nuit d’été[5].

Très récemment, l’approche jusqu’à présent sommaire et fragmentaire des échanges de Cocteau avec l’art et la culture de l’Angleterre, a été pour une très large part remédiée grâce la parution de l’ouvrage d’Olivier Rauch en 2024[6]. La présente livraison des Cahiers entend poursuivre l’investigation pleinement lancée. À cette initiative participent Ilaria Masseroni, qui propose une étude comparée de la réception de certaines œuvres et d’événements marquants dans la carrière de Cocteau aussi bien en Angleterre qu’en France ; et Olivier Rauch, qui revient en détail sur la genèse de la chapelle à Notre-Dame-de-France à Londres et qui nous permet de découvrir pour la première fois l’ensemble des lettres adressées par le poète à Mary Hoeck. Une correspondance intéressante parce qu’elle établit une série de repères biographiques au moment où Cocteau ne s’est pas encore attelé à son journal du Passé défini et parce que le poète s’y adresse pendant une période relativement étendue à une personne qui n’est pourtant ni une artiste ni une célébrité et avec un dévouement et une amitié en tout point comparables.


Cette année a été marquée par la disparition d’un coctalien emblématique, en la personne de Jean-Pierre Fagnoni. Comme Jacques Biagini avait creusé et étoffé la description des rapports de Cocteau avec Villefranche-sur-Mer, Jean-Pierre Fagnoni s’est évertué à rechercher et exhumer la moindre information reliant le poète à Milly-la-Forêt. Il a ainsi rassemblé d’innombrables documents, dessins, photos, films et même témoignages de Millacois ayant encore connu et fréquenté Cocteau. Pour donner un seul exemple du résultat de ses prospections incessantes, signalons l’une de ses toutes dernières découvertes au sujet de la chapelle Saint-Blaise de Milly.

Comme l’on sait, Cocteau a représenté au dessus de l’autel de la chapelle la tête du Christ au sein d’un triangle, de façon similaire à deux autres figures christiques qu’il a réalisées à l’origine pour la chapelle de Villefranche, l’une en céramique (actuellement à la mairie de Villefranche-sur-Mer), l’autre en mosaïque (actuellement à la villa Santo-Sospir[7]). Ne se restreignant pas à cette constatation, Fagnoni a émis l’hypothèse que Cocteau se serait pour cette série inspiré de la représentation du Christ dans la Crucifixion du rétable d’Isenheim conservé au musée de Colmar. Sa suggestion est tout à fait valable, car le poète a pris ce tableau de Grünewald pour modèle vers la même époque à la fois pour la composition de la fresque de Londres et pour la réalisation d’une séquence du film Le Testament d’Orphée[8]. Merci, Jean-Pierre, pour les recherches que tu as menées à bien et pour les partages incessants dont tu as fait bénéficier les coctaliens.


Nous adressons également nos remerciements aux artisans de ce numéro, en premier lieu les auteurs des articles, mais aussi notre co-directrice Audrey Garcia qui assure la mise en page et le transfert des textes en ligne, notre imprimeur Jean-Bernard Peyronel, notre webmaster Loïc Schwaller, le président de la Fondation Pierre-Bergé – Yves-Saint-Laurent, Madison Cox, à qui nous devons de pouvoir continuer à développer le site des Cahiers, ainsi que le Comité Cocteau qui nous soutient dans notre entreprise de diffusion de l’œuvre coctalienne et tout particulièrement Anne-Gaële Duriez.


[1] Ornella Volta, « Cocteau et Shakespeare » et Pierre Grouix, « Usage de l’orage. Orages, éclairs, tonnerre et foudre dans L’Aigle à deux têtes », dans Pierre Caizergues (dir.), Jean Cocteau et le théâtre, Actes du colloque de Montpellier (mai 1998), Montpellier, Centre d’Étude du XXe siècle – Université Paul-Valéry, 2000, resp. p. 139-167 et p. 237-267.

[2] Peter Read, « Le Minotaure de la radio : Cocteau et la BBC », dans Pierre Caizergues (dir.), Jean Cocteau, 40 ans après, Actes du colloque du Centre Pompidou (octobre 2003), Montpellier-Paris, co-édition du Centre Pompidou et du Centre d’Étude du XXe siècle de l’Université Paul-Valéry, 2005, p. 405-416.

[3] Pierre Chanel, « De Byron à Wilde », dans Pierre Caizergues, Pierre Chanel et Annie Guédras (dir.), Jean Cocteau et la mode, Cahiers Jean Cocteau, nouvelle série n° 3, Paris, Passage du Marais, 2004, p. 61-71, et Pierre Chanel, « Dorian Gray. Post-scriptum », dans David Gullentops (dir.), Jean Cocteau et la musique, Cahiers Jean Cocteau, nouvelle série n°4, Paris, Michel de Maule, 2006, p. 61-63.

[4] Stephen C. J. Holford, Cocteau in London : the Lady Chapel Notre-Dame de France, thèse de doctorat soutenue à l’Université de Sydney, 2014.

[5] Malou Haine, « Le Songe d’une nuit d’été :un spectacle avorté de Jean Cocteau (1912-1915) », dans David Gullentops (dir.), Filiations, Cahiers Jean Cocteau, nouvelle série n° 18, 2020, [29 p.] En ligne : https ://cahiersjeancocteau.com/category/articles/cahiers-18/

[6] Voir le compte rendu de cet ouvrage en fin de cette livraison.

[7] Voir Jacques Biagini, « La Chapelle des pêcheurs », dans David Gullentops (dir.), « Jean Cocteau et la Côte d’Azur », Cahiers Jean Cocteau, nouvelle série n°9,2011, p. 48 et 51.

[8] Voir Stephen C. J. Holford, op. cit., p. 120-121 et 311-313.

Pour citer cet article

Audrey Garcia and David Gullentops, "Introduction", Cahiers JC n°23 : Cocteau et l’Angleterre, [en ligne], 2025, 2p, consulté le 26/11/2025, URL : https://cahiersjeancocteau.com/articles/introduction-12/